Dans le contexte d’une pandémie, se manifeste l’appréhension d’un danger mystérieux, irréel et potentiellement mortel. Il correspond à un traumatisme sourd, subi, insidieux, imminent, déterminé par une menace invisible, intemporelle où tout pourrait basculer en un instant.
Les dimensions de l’altérité, des limites entre soi et l’autre, des dangers associés au contact, à la proximité et à la relation sont mises en avant.
Il s’agit d’un stress que nous qualifierons de ‘’per traumatique: ‘’car il anticipe sur une période indéterminée un danger qui peut toucher chacun de nous, différent du stress post traumatique lequel est déterminé par un événement individuel ou collectif brutal, impliquant un avant et un après, une sidération, des attaques de panique, un ressenti violent et des symptômes physiques et psychiques de l’angoisse, comme cela a pu être le cas lors de l’annonce du confinement.
Associé à la peur de la mort, d’être contaminé, de transmettre la maladie, de l’avenir (professionnel et sociétal), le confinement renvoie à l’enfermement voire pour certains à la séquestration ou aux régimes totalitaires, aux périodes de guerre, prisons, épidémies/maladies et à la vie monacale. Tel une caisse de résonnance, il provoque des effets sur l’équilibre mental et émotionnel. Censé protéger alors qu’il génère des troubles, d’autant plus qu’il sert également d’alibi pour procrastiner, éviter….
Le confinement psychique reflète un état mental figé par la peur de la mort. Le déconfinement psychique devrait permettre de s’extraire de cet engluement, même s’il a ouvert la boîte de Pandore et libéré cauchemars, divagations, agressivité et angoisses.
Nous avons discerné plusieurs profils : certains se calquent au confinement et y adhèrent fidèlement, ils se montrent moins réactifs, presque anesthésiés et attendent des jours meilleurs. D’autres en revanche, au début réfractaires au confinement, le subissent, puis finissent par s’y installer. D’autres encore le contestent, mais suivent les règles, soucieux de la sécurité des proches. D’autres souffrent du confinement et le manifestent à travers insomnies, cauchemars, angoisse…. Enfin ceux qui sont la proie du délire, d’un impossible, d’un déni, sans oublier ceux pour qui priment la liberté ou la faim et vont presque naturellement transgresser le confinement.
Les cinq gestes barrières renvoient à des mécanismes phobiques et obsessionnels sur un fond de paranoïa (le danger c’est l’autre), de culpabilité (contaminer les autres) et de possible dissociation (le danger est invisible, irréel).
Les rapports au danger (à la mort), à soi-même, aux autres, à l’espace et au temps se trouvent remis en cause. Pour chacun d’eux, nous examinerons à la fois le paradoxe de la situation actuelle, avec ses traquenards mais aussi ses heureuses perspectives, notamment par l’investissement et la redécouverte de l’humour, la poésie, la créativité, la concentration, la complicité, notre intériorité.
Notre réflexion nous a conduit à concevoir cinq manœuvres psychiques permettant d’appréhender les effets du confinement et les possibilités de le traverser activement et positivement jusqu’au total déconfinement. Le confinement donne lieu à un bouillonnement existentiel et donc à une multitude de questions dont certaines vont résister au déconfinement.
Une manœuvre inaugurale de prise de conscience
1- Nous vivons désormais sous une menace de mort, prégnante, insoupçonnable et
indéterminée. Cet ‘’empêchement du désir’’ produit des effets différents en fonction de l’histoire du sujet et de son contexte actuel de vie. En effet, la réalisation de nos projets se trouve réduite et le recours aux mécanismes de défense se révèle difficile, voire inopérant. Ceci entraîne un sentiment de frustration et d’anxiété. L’imaginaire bridé se redéploie de manière aberrante notamment sous des formes telles que crises de panique ou cauchemars.
Cette angoisse légitime, susceptible de nous anéantir comme une cible impuissante à laquelle les gestes barrière (essentiellement de l’ordre de l’évitement), peuvent donner une illusion de contrôle, il s’agit de l’apprivoiser en assumant que le phénomène nous dépasse. L’angoisse de mort étouffe les peurs qui nous caractérisent. Celles-ci, dûment identifiées, puis élaborées, vont nous aider à lever la chape de cette angoisse innommable qui nous paralyse.
S’il est difficile de ne pas tomber dans le piège d’un imaginaire de surcroit malmené par les informations et l’amplification des médias, une marge de liberté se dégage toutefois pour s’en extraire quand nous décidons d’apprivoiser l’angoisse qui nous emprisonne et réalisons alors que notre intériorité sera préservée. D’où l’intérêt des manœuvres que nous proposons.
Une mise en observation de soi-même.
2- Le rapport à soi, au-delà des réactions défensives, demande de discerner ce qui se passe, d’être attentif et bienveillant, de s’interroger sur ce que signifie d’être vivant dans ce contexte, sur le sens de sa vie. Savoir se centrer sur soi et vivre le présent a le mérite de ne pas nous laisser submerger par la confusion. Ainsi se sont probablement inscrites en nous de subtiles modifications, garantes de l’évolution personnelle, qu’il nous appartiendra d’intégrer.
Mais si l’on a trop bien supporté le confinement comme une sorte de bulle, le déconfinement risque d’être vécu comme un difficile retour au quotidien. Certains expriment la nostalgie du confinement, voire aspirent à son renouvellement. N’a-t-il pas agi comme un espace-temps protecteur, bulle dans laquelle on a quelque peu régressé.
Un contrôle des barrières intimes
3- La remise en cause du rapport à l’autre, présent ou à distance, a engendré la nécessité de réinventer ses limites, éventuellement de les durcir face au piège d’une mise à disposition, à la merci de l’autre, envahi par ses demandes, flots de paroles ou plaintes réitérées ou au contraire d’être plus perméable, plus réceptif et de s’autoriser à écouter et à dire…
Au niveau des couples, il faut éviter que l’impossible n’atteigne la violence de l’insupportable. De la crainte de l’intrusion, de l’abandon et de la solitude à l’écueil de la transparence (du ‘’tout se dire’’), il s’agit de dépasser la peur et d’apprendre à trouver un espace d’intériorisation et d’insight pour comprendre et apprendre sur soi et l’autre, sans se laisser aller à trop s’inquiéter si l’autre semble ‘’prendre le large…’’
Apprivoiser le temps
4- Ce temps confiné peut être vécu comme dilaté, autorisant des initiatives et rendant le confinement presque libératoire, ou comme restreint, distordu bridant le désir, ou encore comme suspendu, arrêté et engendrant l’ennui, lequel s’avère parfois fertile…
Le rapport au temps confiné s’est traduit parfois par des conduites allant d’une dépendance (aux jeux vidéo, aux médias, aux psychotropes ou aux substances illicites…) à la création : redéfinition de soi-même. Les symptômes liés au confinement se sont caractérisés chez certains par une addiction au virtuel (rapport au vide, à l’absence, au manque), un renforcement de la procrastination, la peur de l’autre, des craintes face à l’imprévisible temporalité d’un danger presque irréel. D’autres au contraire se sont efforcés de rester maîtres de leur temps par exemple en le structurant et l’organisant dans le quotidien ; en osant rêver à ‘’l’après’’ ; en laissant des traces (journal, notes, photos, vidéo…)
Recréer un espace intérieur
5- Les questions des limites (imposées, à poser), du contrôle subi ou que l’on fait subir, du respect ou de la transgression des règles et des modifications possibles se sont trouvées mises en évidence.
L’espace confiné peut être vécu comme une protection, une punition, voire pour certains une prison ou comme une bulle, une parenthèse. Espace familier et havre protecteur, il risque néanmoins de se peupler de monstres et de cauchemars. Face au surcroit de règles posées à l’extérieur, il s’agit d’inventer les siennes au sein de son espace privé, de découvrir un territoire psychique à explorer avec une liberté plus profonde jusqu’alors contrainte par notre cadre routinier.
CONCLUSION
Si la mission de sauver des vies grâce au confinement se justifie, il est opportun de considérer que le déconfinement soit accompagné d’un déconfinement psychique salutaire au niveau individuel.
Les dimensions concernées par les cinq manœuvres sont entremêlées, elles accompagnent un déconfinement progressif et relatif où tant de paramètres restent à désintriquer. Et notre espace mental reste d’autant plus contaminé qu’il est concentré sur l’autre, l’inconnu plus que sur ce que le virus peut nous apprendre sur nous-même. Avec un retour à une réalité qui n’est plus tout à fait la même.
Être vivant n’empêche pas d’être mortel, ni être mortel d’être vivant.